Fredericton: un contrat de 13 M$ pour réaliser des économies de 10 M$ – Acadie – Nouvelle – 20 juin 2017

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Article : Mathieu Roy-Comeau
Photo : Mathieu Roy-Comeau

Une firme d’experts-conseils a été payée 13 millions $ par le gouvernement du Nouveau-Brunswick selon des «pratiques douteuses» et dans le «mépris» des règles en vigueur pour réaliser à peine 10 millions $ d’économies.

La vérificatrice générale du Nouveau-Brunswick, Kim MacPherson, lève le voile dans son plus récent rapport sur la «culture de complaisance» en matière d’attribution de contrats qui règne à son avis au ministère du Développement social, autant sous les libéraux que sous les progressistes-conservateurs.

Au coeur de l’affaire se trouvent des services de consultations obtenus sans appel d’offres auprès du cabinet Ernst & Young en 2013 dans le but de générer des économies de 47 millions $ au sein du ministère du Développement social.

Puisque la firme a été payée selon les résultats anticipés plutôt qu’en fonction des résultats réels, Fredericton a fini par lui verser 13 millions $ pour des économies évaluées à 10 millions $ par le ministère.

Ces économies pourraient cependant s’avérer en dessous ce cette somme puisque la vérificatrice générale affirme ne «pas avoir trouvé suffisamment de données pertinentes» pour corroborer les calculs du ministère.

La province a notamment versé 1,3 million $ à Ernst & Young pour des extras qui auraient dû faire partie du contrat, avance Mme MacPherson.

Fredericton a également accordé 646 000$ au cabinet d’experts-conseils pour des frais de déplacement, et ce, sans réclamer de factures ou de pièces justificatives.

Selon Kim MacPherson, le ministère du Développement social s’est servi de «pratiques douteuses» et a fait preuve d’un «mépris préoccupant» des règlements en choisissant Ernst & Young pour effectuer le travail.

Afin d’éviter d’aller en appel d’offres pour la première et la deuxième phase du projet, le ministère a évoqué à l’époque l’urgence de la situation, même si l’affaire n’avait absolument rien d’urgent selon la vérificatrice générale.

«De nos jours, (les réductions budgétaires) sont du travail routinier dans tous les ministères», affirme-t-elle.
Le contrat conclu avec Ernst & Young était «mal structuré» et n’avait pas «d’objectifs clairs», constate MacPherson. Le ministère du Développement social s’est tout simplement avéré «incapable de gérer efficacement le contrat», dit-elle.

La firme a notamment été appelée à évaluer elle-même la qualité de son travail. Elle a aussi participé à la préparation d’un appel d’offres qu’elle a remporté par la suite pour effectuer la troisième phase du projet.
«Nous estimons que cette situation a augmenté la possibilité d’un conflit d’intérêts et d’influence indue de la part des experts-conseils pendant le processus d’appel d’offres (…) et peut avoir mené à un approvisionnement inéquitable», écrit la vérificatrice dans son rapport.

Service NB, l’agence responsable des appels d’offres au sein de la fonction publique, a mis en garde le ministère du Développement social à plus d’une reprise contre ces pratiques non orthodoxes avant de sanctionner malgré tout ces actions, constate-t-elle.

Kim MacPherson a été incapable d’obtenir des explications sur ces manquements aux règlements de la part des responsables du ministère du Développement social qui ont souligné les nombreux changements au sein du personnel du ministère depuis 2013 pour éviter de répondre à ses questions.

«Malgré le roulement du personnel, le ministère devrait être capable de rendre des comptes», insiste Mme MacPherson.

«Je suis préoccupé du fait qu’il n’y a aucune conséquence pour le ministère.»

Les libéraux et les conservateurs sont mis en cause

Les deux partis politiques qui se sont partagé le pouvoir depuis 2013 sont éclaboussés par le rapport de la vérificatrice générale.

Chacune des phases du projet a été accordée à Ernst & Young alors que les progressistes-conservateurs étaient au pouvoir.

Le gouvernement libéral du premier ministre Brian Gallant a cependant choisi de prolonger d’une année le contrat avec le groupe d’experts-conseils en 2015.

C’est le ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux, Serge Rousselle, qui a répondu aux questions des médias au nom du gouvernement, mardi.

Selon lui, le travail d’Ernst & Young a permis de générer 14 millions $ en économie l’an dernier en plus des 10 millions $ déjà comptabilisés par le ministère du Développement social.

Le gouvernement a choisi de prolonger le contrat de la firme malgré les «anomalies» en raison de tout le travail qui avait déjà été effectué, a expliqué M. Rousselle.

Le ministre a promis que chacune des recommandations de la vérificatrice générale serait mise en oeuvre.
Serge Rousselle a toutefois refusé de dire si des fonctionnaires pourraient être punis pour leur rôle dans cette affaire.

C’est le ministre Rousselle qui a identifié la firme Ernst & Young que la vérificatrice générale a refusé de nommer dans son rapport et dans ses réponses aux questions des médias.

Le porte-parole des progressistes-conservateurs en matière de développement social, Ernie Steeves, a été incapable d’expliquer les décisions de son parti à l’époque où il était au pouvoir.

Le député a cependant promis d’obtenir des réponses auprès de ses collègues et anciens ministres et de les partager avec le public.

«Nous allons en discuter au sein du caucus», a-t-il dit.

«(Les anciens ministres conservateurs) ont pris les décisions qu’ils pensaient les meilleures pour le Nouveau-Brunswick à l’époque. Tous les gouvernements font ça. Et puis la vérificatrice générale corrige les mauvaises décisions», a résumé M. Steeves.

«Ces recommandations sont solides et elles devraient être mises en oeuvre», a dit celui qui n’était pas encore député à l’époque en 2013.

Ernst & Young n’a pas répondu à notre demande de commentaires.