Qui lobby qui ?
Pour la première fois dans l’histoire du Nouveau-Brunswick, vous pouvez trouver le nom des personnes qui influencent les politiques publiques et les prises de décisions du gouvernement. En effet, la loi sur l’enregistrement des lobbyistes est entrée en vigueur le premier avril, soit 28 ans après que la première version de cette loi eut été adoptée par l’administration fédérale.
Ce n’est qu’un autre exemple d’une administration libérale, à la fois économe et dépensière, qui vient de fusionner les fonctions d’enregistrement des lobbyistes, du droit à l’information, du commissaire à la protection de la vie privée, et du commissaire à l’intégrité, pour ensuite assigner toutes ces tâches à un nouveau commissaire à l’intégrité, le juge à la retraite Alexandre Deschênes.
L’enregistrement des lobbyistes avait été promis dès 2007 par le premier ministre Shawn Graham, mais il n’a jamais donné suite à sa promesse. Ironiquement, monsieur Graham est maintenant un des lobbyistes qui apparait dans le nouveau registre comme agissant en faveur de ses clients enregistrés Fornebu Lumber, Molson Coors, CP Homes et AKD International.
Par hasard, une évaluation des registres des lobbyistes fédéraux et provinciaux a été publiée le mois dernier dans Shareholder Association Research and Education. Comment s’est classé le Nouveau-Brunswick ? En dernière place avec une note de 2 points sur 11 possibles. Le Québec s’est classé premier avec une note de 6,5 et l’administration fédérale s’est classée deuxième avec 5,5. L’IPÉ est la seule juridiction provinciale sans encore de registre des lobbyistes, toutefois une loi a été promulguée pour en créer un.
Notre registre, semblable à la version de 1989 du registre fédéral, pourrait être comparé à une liste de cartes de visite, parce que l’on exige tellement peu de renseignements que l’on pourrait tout consigner sur une carte de visite.
Par exemple, le lobbyiste n’est pas tenu de déclarer le but de ses sollicitations, mais simplement ses objectifs généraux. Doug Tyler, un ancien membre du cabinet de l’administration de McKenna, exerce des pressions pour J.D. Irving et il déclare ses objectifs de « travailler en partenariat avec les collectivités locales et la province du Nouveau-Brunswick pour appuyer l’industrie forestière au NB. » Occasionnellement, une déclaration est plus précise. Maurice Robichaud, l’ancien directeur des communications de Frank McKenna, déclare qu’il travaille pour aider le groupe des entreprises Springhill à obtenir un permis pour le développement d’une carrière. Certaines autres déclarations ne contiennent aucun objectif. Si vous souhaitez connaitre les projets de loi, les lois ou les règlements que le lobbyiste tente d’influencer, ce n’est pas dans ce registre que vous trouverez les réponses.
L’administration fédérale exige que, chaque mois, les lobbyistes dévoilent avec qui ils ont communiqué. Vous n’allez pas trouver cette exigence au Nouveau-Brunswick. Même situation avec les montants que les lobbyistes reçoivent, comme c’est exigé au Québec.
Le Nouveau-Brunswick au Canada est selon moi la province qui est la plus exposée aux influences que toutes les autres; notre registre et notre loi devraient donc être les plus rigoureux au pays, mais ce sont les pires.
Essentiellement, le registre des lobbyistes au Nouveau-Brunswick nous révèle qui exerce des pressions en faveur de qui. Medavie Health Services, qui prend la direction de notre programme de soins hospitaliers extramuros, ont inscrit deux lobbyistes. Red Bull, le manufacturier de boissons énergisantes a inscrit un lobbyiste, tout comme MBDA Missile Systems, une succursale d’Airbus. Curieusement, les Mères contre l’alcool au volant et la compagnie Labatt ont engagé le même lobbyiste. Ce sont les inscriptions les plus intrigantes qui m’ont frappée.
Le commissaire à l’intégrité n’a pas reçu un budget spécifique pour créer et gérer le registre des lobbyistes, il doit plutôt compter sur ce qu’il reste des budgets alloués aux commissaires du droit à l’information et de la protection de la vie privée. Cela doit changer parce que son site Web est pour l’instant dépourvu de tout.
Le registre n’est rien de plus qu’une collection de formulaires en ligne que doivent remplir les lobbyistes. Il n’est pas interrogeable par sujet et difficile à interroger par entreprises. Vous devez inscrire le nom exactement comme il apparait dans le registre. Si le lobbyiste n’est pas un conseiller, mais un employé d’une organisation pour laquelle il exerce des pressions, vous ne pouvez absolument pas le rechercher avec le nom de l’organisation.
Le juge à la retraite Deschênes était un juriste érudit de grande renommée. Il est maintenant très occupé comme Officier de la législature agissant comme chien de garde des conflits d’intérêts des députés, et des lois sur le droit à l’information et la protection de la vie privée, sans oublier le registre des lobbyistes. Cela me fait penser à Roger Melanson qui est maintenant responsable du Conseil du Trésor, des politiques du Commerce, de l’Éducation postsecondaire et des Affaires autochtones.
Pour ce qui est de la gouvernance, le premier ministre accumule les responsabilités de nombreux ministères sur les épaules d’un seul ministre, ce qui compromet sa capacité de remplir ses responsabilités et d’être imputable à la législature pour les travaux de ses ministères. Cette tendance s’est maintenant étendue aux responsabilités des officiers de la législature. Ce n’est pas une caractéristique de bonne gouvernance ni d’excellence en administration publique. Pourtant, c’est bien de la bonne gouvernance et d’administration publique pertinente dont nous avons désespérément besoin.