Les péages routiers : y a-t-il des avantages pour le Nouveau-Brunswick? L`Étoile le 5 fevrier 2015

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Victor Boudreau, le ministre responsable de l’examen stratégique des programmes gouvernementaux l’a dit : tout est sur la table pour trouver les 500 à 600 M$ dont la province a besoin. L’idée d’instaurer des péages routiers irrite les camionneurs, qui croient que cette mesure affecterait directement l’industrie du transport et augmenterait le prix des produits importés dans la province.

Jean-Marc Picard, le directeur général de l’APTA, l’Atlantic Provinces Trucking Association [NDLR: Association de camionnage des provinces de l’Atlantique, traduction libre], croit que les bénéfices seraient négligeables pour la province si des péages sont installés le long de la route Transcanadienne.

«Ça va tous nous affecter, c’est certain. Par contre, à quel niveau, ça dépend. On essaie toujours de protéger notre marché, parce qu’il y a beaucoup de compagnies de l’Ontario et du Québec qui essaient de voler nos clients dans la province. Juste ça, c’est assez difficile à gérer, alors on ne veut pas en rajouter avec ça. On veut que les entreprises d’ici gardent leurs centres opérationnels ici», défend-il.

«Évidemment, si ça arrive, on va devoir passer cette augmentation de coûts à nos clients. Mais ce n’est pas toujours évident. Parfois, les clients vont aller voir ailleurs, et ils vont voir que tous les prix vont augmenter quand ils vont revoir les contrats», d’ajouter M. Picard.

Il croit par ailleurs que les coûts supplémentaires engendrés par des péages pourraient se réfléter jusque dans l’assiette des consommateurs. À titre d’exemple, les coûts de nombreux aliments frais au Nouveau-Brunswick sont plus élevés que dans les grands centres du Québec et de l’Ontario parce qu’ils sont importés par camion à partir des centres de distributions dans ces provinces.

Ces prix pourraient être encore plus importants s’il y avait une augmentation des coûts du transport routier.

«Plus on ajoute des coûts au transport, plus ça coûte cher lorsqu’on achète un produit livré sur une longue distance. Qui absorbe ces coûts? Ce ne sont pas les détaillants, c’est monsieur et madame Tout-le-monde», d’indiquer M. Picard.

Le chef du Parti vert, David Coon, voit plutôt d’un bon oeil une éventuelle instauration de péages routiers au Nouveau-Brunswick. Il croit toutefois que l’imposition de péages ne devrait pas se faire par l’entremise de cabines, avec des employés, mais de façon électronique. Il estime que c’est un système beaucoup moins cher à implanter, moins compliqué à entretenir et donc beaucoup plus rentable.

L’APTA estime que l’instauration de postes de péage rapporterait 20 M$ par année à la province. Toutefois, M. Picard croit que les citoyens auraient davantage d’attentes envers l’état des routes et demanderaient un meilleur entretien.

«Les gros camions sont ceux qui ont le plus d’impacts sur les routes. Les petits véhicules ont beaucoup moins d’impact sur les routes et les gros camions représentent un problème pour la durabilité de nos grandes routes, comme la Transcanadienne», rappelle M. Coon.

M. Picard n’est toutefois pas du même avis et réplique à M. Coon que les utilisateurs de la route payent déjà des taxes sur le diesel et l’essence pour l’entretien des routes.

«On est la troisième province la plus taxée au niveau du diesel, ça devrait être suffisant pour maintenir les chemins», affirme-t-il.

Les péages routiers les plus proches se situent en Nouvelle-Écosse. Les camionneurs y payent en moyenne 20 $ à chaque passage sur la route Transcanadienne, alors que les petites voitures payent 4 $. M. Picard croit que l’industrie du transport routier serait le plus important contributeur aux péages.

M. Picard croit que les petites et moyennes entreprises, tout comme les plus grosses, subiraient un impact assez important s’il y avait des péages dans la province. En effet, peu importe le nombre de camions par entreprise, c’est le nombre de passages sur les routes à péage qui compte.

«Au bout du compte, ça va avoir un gros effet sur une industrie très prospère dans la province, qui emploie beaucoup de gens. Si j’étais le gouvernement, je ferais attention avant de cibler directement notre industrie», affirme-t-il.

M. Picard rappelle d’ailleurs que l’industrie du transport routier paye déjà des millions de dollars en taxes sur l’essence, et contribue 3 M$ au produit intérieur brut.

«Notre industrie emploie des dizaines de milliers de Néo-Brunswickois, et pour chaque million de dollars rapportés, sept emplois sont créés. C’est une industrie qui est en développement dans notre province, ce qui n’est pas le cas partout. Il ne faudrait pas lui nuire.»

La hausse de la TVH, une solution?

Il se demande d’ailleurs quels seraient les avantages de cibler un secteur spécifique alors que toute la province serait mise à contribution si la taxe de vente harmonisée (TVH) était augmentée d’un ou deux pour cent.

Ainsi, selon les chiffres que son organisation avance, la hausse de la TVH de seulement 2 % permettrait de générer 250 M$ dès la première année. M. Picard rappelle d’ailleurs que la Nouvelle-Écosse a adopté cette mesure récemment.

«On sait que la hausse de la TVH, ce n’est pas quelque chose que les gens aiment entendre, mais on est rendus là. Les péages, on n’aime pas plus entendre ça nous non plus.»

De son côté, David Coon s’oppose à l’idée d’une hausse de la TVH puisque cette mesure affecterait probablement les familles les plus précaires financièrement.

«Dans le contexte actuel, on peut augmenter la taxe sur quelques produits et services, tout en maintenant le niveau de la TVH relativement bas. Les personnes qui vivent en situation de pauvreté ne devraient pas subir une hausse de la TVH.»

M. Coon propose plutôt l’imposition d’une taxe sur le carbone et sur les émissions de gaz à effets de serre sur les industries les plus polluantes. Il estime que l’imposition d’une telle taxe apporterait 140 M$ en revenus pour la province.

En plus de cette mesure, il suggère aussi de moduler le prix de certains biens et services, selon leur importance en tant que produits de consommation de base. Cette mesure touche déjà les aliments non préparés, à titre d’exemple.

«Pour nous, ce serait important de parler avec le niveau fédéral pour discuter d’une nouvelle entente afin d’assouplir la TVH et la diminuer pour certains produits, comme les vêtements pour enfants», évoque-t-il.

En attendant, M. Picard continue de faire de la pression auprès du ministre des Finances, Roger Melanson, pour qu’il n’y ait pas de péages sur les routes de la province.

«J’ai rencontré M. Melanson à quelques reprises, mais il n’y a rien d’officiel encore. Il m’a dit que son gouvernement y pense, mais comme ce n’est pas encore officiellement sur la table, on ne peut pas vraiment protester. Je trouve ça bizarre par contre que c’est tout ce dont on parle.»

MARIE CHRISTINE TROTTIER